Monde, ne t’arrête pas! (le cœur s’arrête, toi continue!)
Yazının Türkçe versiyonu:DÖN DÜNYA! KALP DURUR, SEN DURMA
Foto: Hernan Pauccara-Pexels
Les filets de pêche… Mon enfance s’est passée loin d’eux, dans les jeux, à tomber et à se relever. Maintenant, même si je vis comme une araignée tissant sa toile, je pense à mes premières années de jeunesse, prenant le risque que mes doigts, plus que dans les filets, se coincent dans la porte et que mes ongles tombent. C’est la raison pour laquelle, quand je suis quittée ou quand je perds quelqu’un que j’aime, ce sont les bouts de mes doigts qui font le plus mal! A présent, dans la porte du printemps, quand mon doigt me fait mal subitement et que j’enfouis mes ongles dans la terre, je sais très bien, oui, que les poissons pris dans les filets ne dansent pas.
Je me souviens d’une scène d’un film. Des dizaines de poissons pris dans un filet sautaient désespérément en tous sens dans un filet. En se fiant à la musique de fond, on aurait pu penser qu’ils exécutaient une sorte de ballet. Ils sautaient les uns au-dessus des autres en se débattant. Certains retombaient dans l’eau, d’autres, après un dernier saut, restaient sans vie dans le filet.
Encore un de ces jours qui se répète inexorablement, la copie d’hier et celle de demain. Un jour où l’on s’est réveillé à temps dans le matin d’une nuit où, comme l’on n’a rien vécu d’inattendu, on n’a pas été en retard et où, même si l’ on avait été en retard, on n’aurait pas eu de bonne raison de l’être. On n’est pas mort avec le défunt, c’est la vie, un jour qui s’est poursuivi malgré tout. Un jour où, après avoir envoyé les enfants en vitesse à l’école, on a ouvert l’ordinateur portable et on l’on s’est connecté au travail. Un jour qui a enjambé l’odeur du café, le désordre et un monde dans le fond amusant constitué au milieu du couloir par des petites voitures et des maisons miniatures. Un jour ordinaire passé sur le bord d’un sourire qu’on ne voit plus à présent que sur le vieilles photos. Depuis longtemps c’est comme ça. De longues années. Rien de neuf donc. La nouveauté, c’est le fait que le monde se résume à la maison. Un monde resté dans le fond de ma gorge. L’odeur caractéristique du papier carbone émanant de l’existence monotone des pays d’Europe du nord. Comme les images des films de Michael Haneke restant collée au fond de mon palais…. La monotonie des agendas programmés à l’avance, des horloges exactes et bien remontées… Personne ne viendra à l’improviste, et même si quelqu’un s’en va d’un coup, les poubelles seront toujours ramassées le même jour à la même heure et les calendriers ne bougeront pas d’un millimètre…. Un monde d’immobilité…à part les filets des pêche qui s’étendent vers ma vie.
“Où, quand et combien de fois ai-je été prise dans un filet” me demandé-je en aparté. Moi qui me pose toujours toutes sortes de question, nécessaires ou inutiles, moi qui m’approche de moi avec émotion quand la question a réussi à s’insinuer en moi, je commence à me déchirer, à déchirer ce qui fait de moi ce que je suis. Quand c’est de moi qu’il s’agit, moi qui pose la question et qui connaît la réponse, moi qui ai l’audace de la formuler, un combat commence qui défait une à une les couches de l’honnêteté. A nouveau, je rejoins mon enfance. C’est d’elle que je me nourris, l’endroit où je vais et je crie de toutes mes forces avec ma voix d’enfant. En effet, en grandissant, l’homme rejoint son enfance et quelle que fût celle-ci, elle détermine ce qu’il sera plus tard.
Mon enfance, qui reste dans l’embrasure de la porte et qui se réfugie à l’intérieur à la moindre occasion, mon enfance, installée tout au centre de mon écriture! Pourtant, dès qu’elle en avait l’opportunité, mon enfance s’élançait à l’extérieur au cri de “Maman, je suis dehors”! Sans attendre la permission de ma mère, je fermais en hâte la porte derrière moi. Je ne sais pas combien de fois je me suis coincé les doigts dans la porte, combien de mes ongles ont noirci et sont tombés mais j’ai encore en mémoire la douleur de ces doigts et la vision des ongles écrasés. D’abord ils rougissaient, puis devenaient d’un violet profond. Ensuite, ils prenaient une teinte s’approchant du noir. Alors que le nouvel ongle apparaissait à peine, d’un rose tendre, l’ancien se détachait du doigt en laissant derrière lui un vide qui faisait mal même au contact de l’air.
Cela ne m’arrêtait pas et je tirai rapidement la porte derrière moi tout en oubliant à chaque fois de retirer mes doigts de l’espace entre la porte et le cadre. La seule chose qui comptait, c’était que ma mère ne me rattrape pas pour me ramener à la maison! D’abord je me mettais à sucer mon doigt resté coincé dans la porte, ensuite je ravalais mes larmes et descendais en courant la rue Halil Rıfat vers les jeux.
Du balcon de notre maison, des géraniums pendaient que ma mère arrosait tantôt de son rire en cascade, tantôt de ses espoirs et de ses déceptions. Parmi les fleurs, les cheveux de ma sœur s’ouvraient aussi. Je me souviens de son cri quand elle m’appelait :”Papa est rentré, on va manger, allez, rentre à la maison!” Mes amis et moi, en disant “celui qui a une maison dans sa maison, le villageois dans son village et ceux qui n’ont ni maison ni village dans le trou du rat”, nous nous enfuyions en pagaille vers nos foyers que nous pensions encore innocents et où flottaient, comme de l’encens, des odeurs de cuisine. C’est alors que le doigt que j’avais coincé dans la porte commençait à pincer et à faire mal. A peine ma mère avait-elle vu mon doigt blessé que je commençais à pleurer dans ses bras. Ma mère seule pouvait rassembler mon désordre, mes ongles tombés, mes larmes…Un jour par semaine aussi, ma mère me frottait à fond avec un savon vert pour jeter hors de moi l’odeur de la rue. Dans la chambre que nous partagions avec ma sœur et où nous dormions avec des pyjama à fleurs, le soleil, s’insinuant entre les lourds rideaux en velours frappait nos lits et nous réveillait dans les odeurs du matin…. Les jours étaient longs et passaient lentement. Grandir était un rêve enchanté que nous voulions rejoindre au plus vite.
Les filets de pêche… Mon enfance s’est passée loin d’eux, dans les jeux, à tomber et à se relever. Maintenant, même si je vis comme une araignée tissant sa toile, je pense à mes premières années de jeunesse, prenant le risque que mes doigts, plus que dans les filets, se coincent dans la porte et que mes ongles tombent. C’est la raison pour laquelle, quand je suis quittée ou quand je perds quelqu’un que j’aime, ce sont les bouts de mes doigts qui font le plus mal! A présent, dans la porte du printemps, quand mon doigt me fait mal subitement et que j’enfouis mes ongles dans la terre, je sais très bien, oui, que les poissons pris dans les filets ne dansent pas.
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