Entretien avec Orhan Ağırdağ : l’éducation en société multiculturelle.
Yazının Türkçe versiyonu:Renkli Toplumlarda Eğitim
Les erreurs que nous considérons comme justes, ce que nous ignorons et l’approche de l’éducation en milieu culturel, ses problèmes et ses propositions de solution.
- Ce ne sont pas seulement les kebaps qui sont ethniques, mais les frites et la mayonnaise aussi !
- L’attente d’échec concernant un élève qui pourrait réussir le fait échouer.
- L’engrenage de l’inégalité.
- S’opposer aux écoles islamiques avant même qu’elles soient ouvertes revient à se moquer de la constitution!
- Créez vos propres écoles!
- Les références culturelles facilitent les apprentissages.
- L’approche “monochrome” dans la société multiculturelle : une mauvaise définition de l’identité, la discrimination et la négation des particularités culturelles sources de fierté.
- Prétendre que le passé n’a pas d’importance et que ce qui compte c’est le futur est une illusion!
- L’approche” monochrome” empêche la perception de la discrimination.
- La contribution de communautés diverses à une solution commune.
Depuis la seconde guerre mondiale, les pays européens qui ont été le théâtre de migrations ont évolué pour devenir des sociétés multiculturelles, interculturelles et ces derniers temps, des sociétés pouvant être qualifiées de société de “superdiversité”. Alors que les sociologues et les politologues se penchent sur les problématiques liées à cette organisation de vie sociale marquée par la diversité; on ne pouvait concevoir que les chercheurs restent en dehors de ce champ d’investigation. Avec son livre intitulé “l’éducation dans les sociétés multiculturelles”, le Prof. Orhan Ağırdağ, enseignant à la Faculté des Sciences Psychologiques et Pédagogiques de l’Université de la KU Leuven, lui-même issu de ce système éducatif en milieu multiculturel, apporte, grâce à ces travaux, un éclaircissement sur les problématiques éducatives en milieu multiculturel et nous renseigne sur la manière dont il faut approcher et organiser l’éducation en milieu multiculturel et multilingue.
Le livre “l’Education dans les milieux multiculturels” est un ouvrage pouvant servir de guide pour tous les acteurs de l’éducation travaillant en milieu multiculturel et qui s’occupent de l’éducation et de l’enseignement des jeunes et des enfants issus de cultures différentes. C’est un guide précieux et sérieux remplis d’exemples qui peut être utilisé pour renforcer la réussite dans l’éducation de personnes appartenant à des groupes culturels différents. De plus, il peut être considéré comme un appel aux parents qui éduquent leurs enfants dans une langue et culture différente de leur culture d’origine –non pas seulement en tant que père et mère- mais en tant que groupe social pour s’investir dans l’éducation et pour créer leurs propres écoles.Malheureusement, le parlement, le gouvernement et les politiques, qui organisent l’avenir du pays et prennent les décisions en matière d’éducation ne sont pas présents dans le livre. On peut expliquer ce manque ressenti dans le livre par l’approche négative de certains politiciens flamands concernant la diversité et la multiculturalité dans l’éducation, approche négative que déplore le Prof. Orhan Ağırdağ. Le fait que le droit à l’organisation de l’éducation garanti par la constitution ait été confisqué pour des raisons politiques est une autre source de déception. En dernier lieu, nous avons réalisé un long reportage avec le Prof. Orhan Ağırdağ au sujet de son livre “L’Education dans les sociétés muticulturelles”, livre dans lequel j’ai appris avec surprise la fausseté de certains considérations que nous avons l’habitude de considérer comme vraies. Si vous souhaitez lire directement certains extraits intéressants du reportage, vous pouvez appuyer directement sur les liens de contenu placés au début du reportage et ainsi prendre immédiatement connaissance de ces contenus.
Ce ne sont pas seulement les kebaps qui sont ethniques, mais les frites et la mayonnaise aussi !
Dans la préface de son livre, le professeur Ağırdağ écrit : “le petit Jan ne peut connaître quelque chose qu’il n’a pas appris. Mais, l’enseignant Jan ne peut enseigner à Emma ou à Adil quelque chose qu’il ne connaît pas”. Avec cette phrase, Ağırdağ exprime la dimension du problème qui intéresse les enseignants. D’ailleurs, il a rédigé ce livre dans le but qu’il constitue une source pour les personnes travaillant dans le champ de l’éducation. Le professeur Orhan Ağırdağ explique une des raisons l’ayant motivé à écrire ce livre : “ j’ai remarqué que dans les écoles de pédagogie, il n’y avait presqu’aucune publication source destinée à préparer les enseignants de demain aux classes où se trouvaient des élèves de culture et de langue différente appartenant à différents groupes ethniques. Les enseignants doivent connaître la différence entre l’imposition d’une culture et le fait de lui attribuer de la valeur. Je pense que les futurs enseignants doivent connaître des concepts comme l’assimilation, la négation des différences, l’approche multiculturelle, le multilinguisme. Malheureusement, dans ce domaine, il n’existe presqu’aucun livre ou matériel de cours s’appuyant sur des travaux scientifiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre, dans le but qu’il puisse servir de guide pour les professeurs amenés à enseigner dans les classes multiculturelles.”
Le livre commence d’ailleurs par définir ce que nous entendons par multiculturel. “L’identité ethnique, n’est pas comme il est généralement d’usage dans les pays Européens, un concept réservé aux personnes qui viennent de pays exotiques. De la même façon que nous utilisons le qualificatif ethnique pour les personnes venant de Turquie, d’Afrique ou d’Asie, nous devons également l’utiliser pour les Belges de souche. Le Professeur Ağırdağ explique de la sorte l’importance de ces définitions : “je pense que ces définitions sont nécessaires pour savoir de quoi nous parlons et pour pouvoir mesurer les progrès accomplis dans ce domaine. Si, par exemple, vous définissez le groupe ethnique comme un groupe de personnes venant d’une certaine région, alors, tous les noirs constituent un groupe ethnique, ou encore tous les immigrés peuvent constitués un groupe ethnique. De même, les personnes parlant une langue déterminée peuvent aussi être définies comme un groupe ethnique. Qu’ils parlent français, flamand ou turc…Tous ces concepts sont les couches de l’identité ethnique. En disant ethnique, il ne faut pas uniquement comprendre les chiche-kebaps, les frites et la mayonnaise sont également ethniques! Le professeur Ağırdağ, qui écrit qu’”être émigré constitue également une partie de l’identité ethnique” envisage celle-ci en fonction de 4 couches : la nationalité, la langue maternelle, la religion et l’ethnicité. Selon Ağırdağ, “nous possédons tous une identité ethnique et l’identité ethnique peut être déterminante.” La manière dont vous allez définir l’identité ethnique déterminera la façon dont vous allez aborder le problème et en assurerez le suivi. Par exemple, si en faisant mes recherches, j’ai défini l’identité ethnique selon le pays d’origine, je me concentre sur le pays d’origine des grands-parents par exemple. Si je l’ai définie par la langue, je mène mes recherches en fonction de la langue parlée à la maison. De cette façon, vous pouvez classifier avec justesse différents groupes ethniques. Et bien sûr, la manière dont vous définissez le problème va conditionner la façon dont vous en ferez le suivi.”
L’attente d’échec concernant un élève qui pourrait réussir le fait échouer.
Dans le système éducatif en vigueur en Belgique, un jeune turc de 15 ans est en retard de deux ans par rapport à un jeune belge de son âge. Cela est un problème et il existe un mécanisme expliquant comment ce retard s’accumule. Ağırdağ déclare que ce retard est à mettre en rapport avec les préjugés et les stéréotypes concernant certains groupes, éléments qui engendrent de la discrimination et des attentes très basses. Dans son livre, Ağırdağ, examine un à un tous ces facteurs à la lumière des recherches scientifiques. C’est un problème que rencontre particulièrement la communauté turque car ”
les enseignants orientent très souvent les élèves d’origine étrangère vers les sections professionnelles car ils ont de faibles attentes concernant leur réussite”. Ces faibles attentes engendrent des résultats extrêmement négatifs qui tuent l’avenir de l’élève.
Lorsqu’un enseignant a de très faibles attentes concernant la réussite d’un élève, c’est le plus souvent parce que l’enseignant agit, parfois sans le savoir, d’une manière discriminatoire et avec beaucoup de préjugés. Par exemple, un enseignant qui a déjà eu un élève turc apprend ce comportement de son expérience avec cet élève et quand il rencontre un nouvel élève turc, il répond à la situation en reproduisant ce comportement de faible attente. Cette faible attente n’est pas nécessairement provoquée par de la mauvaise volonté. L’enseignant qui a acquis cette expérience la reproduit et de cette façon, presque naturellement, ces faibles attentes concernant “un élève d’origine ou de langues différentes appartenant à un groupe ethnique différent” se reproduisent et ont un effet dévastateur dans l’enseignement. Il s’agit parfois de petits détails : dans la classe, à qui donne-t-on la parole? qui encourage-t-on le plus à participer au cours? qui est le plus réprimandé? qui est le plus puni? à qui dit-on le plus souvent “bravo”?… Cela peut sembler de tous petits détails mais ils ont une énorme importance. Ce n’est pas à une seule reprise que vous subissez ce comportement, cela se répète et s’accumule au cours d’une année où vous passez 8 heures en classe. Finalement, quand l’élève sent que “mon professeur ne me fait pas confiance, et qu’il ne croit pas que je puisse réussir”, il hésite à participer au cours, ne lève pas le doigt pour poser des questions et a l’impression à son tour “qu’il ne peut pas apprendre ni réussir”. Ce cercle vicieux tire les chances de réussite de l’élève vers le bas.
L’engrenage de l’inégalité.
Le professeur Ağırdağ ne s’est pas contenté de faire des recherches en Belgique et en Hollande, il s’est appuyé sur 206 travaux scientifiques réalisés dans différents pays du monde pour exposer le problème d’une manière systématique. En parallèle, grâce à des exemples significatifs tirés du terrain/des écoles, il éclaire ce que bon nombre d’entre nous vivons ou avons vécu. Il expose clairement comment, dans l’ « engrenage » de l’inégalité” les groupes minoritaires, qui ne peuvent prendre part aux décisions et qui ne font partie des cadres dirigeants, sont condamnés à l’échec en matière d’éducation. Le professeur Ağırdağ, qui déclare avoir perdu l’espoir concernant la capacité du système belge a apporter une solution, conseille aux groupes minoritaires de religion ou d’origine différentes de créer leurs propres écoles au sein du système éducatif belge. “A la base de la faible attente en matière de réussite concernant les personnes allochtones, vous voyez en fait que nous retrouvons “le racisme du système social”. Le racisme est un concept différent de la discrimination. Le racisme, à l’image du capitalisme et du communisme est une idéologie et un système de partage du pouvoir. Un système qui dit qui se trouve à un niveau plus élevé et qui à niveau plus bas, qui est supérieur et qui est inférieur. Si vous regardez l’histoire, vous voyez qu’au cours des siècles, le pouvoir a été détenu le plus souvent par les blancs ou les groupes à peau claire. Cette situation existe également dans les pays du tiers-monde, mais vous voyez que même en Turquie par exemple, vous trouvez le concept de Turcs blancs! En d’autres termes, le racisme est un système universel qui apporte avec lui des stéréotypes et des préjugés. En regardant dans la société qui détient les postes de pouvoir, vous pouvez lire ce système. Ceci n’est pas valable que pour le secteur de l’éducation, mais également pour la justice, l’emploi, les médias…c’est la même chose partout. Je connais bien les exemples américains et hollandais et je n’ai jamais été témoin de la présence d’une classe blanche si élitiste qu’en Flandre. Ceci est vrai en Flandre, mais nous pouvons étendre cette observation à toute la Belgique, le pouvoir est aux mains d’une élite blanche bien spécifique. Cela se reproduit toujours, grâce à certains mécanismes particuliers. Dans le secteur de l’éducation, la situation est semblable. Il est illusoire de s’attendre à des changements dans le système éducatif tant qu’on ne s’occupe pas de ce déséquilibre fondamental dans la répartition du pouvoir dans notre société.”
S’opposer aux écoles islamiques avant même qu’elles soient ouvertes revient à se moquer de la constitution!
Le professeur Orhan Ağırdağ, qui déplore qu’il n’y ait pas d’efforts fournis pour que la diversité soit représentée dans les cadres décisionnels en matière de politique de l’éducation, déclare qu’au contraire, il existe une discrimination institutionnelle et constitutionnelle pour tenir les groupes minoritaires éloignés de l’éducation : “Dans la constitution de ce pays, il y a un article garantissant la liberté dans l’éducation. Grâce à cet article, les citoyens sont libres de créer leurs propres écoles et ces écoles sont, à l’image des écoles publiques, financées par l’état. C’est en raison de ce droit que 60 à 70% des élèves de Belgique étudient dans des écoles catholiques. Ces écoles dispensent une éducation basée sur les valeurs chrétiennes, ils ont des associations qui ont leurs propres églises. Ces écoles sont considérées sur un pied d’égalité avec les écoles publiques et tout le monde, dans ce pays, a le droit de créer de la même façon ses propres écoles. Pourtant, l’année passée, un groupe de personnes issues de la communauté turque a voulu ouvrir une école musulmane. Sur ce, le ministre de l’intérieur Jan Jambon a déclaré qu’il s’y opposerait. Excusez-moi, mais cette attitude revient à se moquer de la constitution! En d’autres termes, les droits constitutionnels sont valables pour un groupe et pas pour un autre! En outre, celui qui dit cela est un ministre et donc un représentant de l’exécutif. Dans ce pays, l’exécutif ne peut se mêler de l’éducation! Le parlement lui-même, qui représente le législatif, pour prendre une décision en matière d’enseignement doit s’appuyer sur une majorité des deux tiers. Malgré cela, il est clair que quand il s’agit des musulmans ou d’une école musulmane, les dirigeants se sentent autorisés à déclarer : “nous empêcherons cette école d’ouvrir”. Nous n’avons pas encore de raisons valables ais nous en trouverons pour l’empêcher d’ouvrir! Cette école n’est pas encore ouverte, elle n’a pas encore commis de faute ni d’infraction mais nous, par précaution, nous empêcherons sa création! La même chose est arrivée à Malines à la communauté marocaine. Par des moyens politiques, on les a empêchés d’ouvrir une école. Si vous empêchez que les personnes originaires des groupes minoritaires accèdent au statut de dirigeants d’école, il est impossible de parler alors de diversité en ce qui concerne la direction des écoles! Pensons sur un autre plan : par exemple, quelles sont les personnes qui peuvent devenir enseignant? Nous connaissons l’interdiction du voile en cours dans bon nombre d’écoles. En tant que musulman qui paie ses impôts, moi aussi, je participe au financement de l’enseignement. Pourtant, je ne peux pas profiter égalitairement de cet enseignement car, d’une part, on m’interdit de créer ma propre école, et d’autre part, je ne peux travailler dans l’enseignement sas cacher mon identité religieuse! Si en Angleterre, vous parliez de l’interdiction du voile dans les écoles, ils riraient. En effet, de la même façon qu’en Angleterre vous pouvez aller à l’école avec un voile, vous pouvez, avec un voile, être enseignant, officier de police ou juge. En effet, dans ce pays, les gens sont conscients que votre apparence ne vous empêche pas d’avoir des capacités. Si vous créez un mécanisme de discrimination dans le choix des cadres dirigeants de l’école et des enseignants, et que vous soutenez ce mécanisme par la constitution, il ne faut pas s’étonner que la Belgique, en matière d’enseignement, soit plus inégalitaire que beaucoup d’autres pays. En effet, vous discriminez systématiquement un groupe afin qu’il n’accède pas aux mécanismes décisionnels en matière d’enseignement. En effet, non seulement la Belgique ne met pas des quotas pour s’assurer que les personnes minoritaires accèdent aux positions dirigeantes dans l’organisation de l’enseignement, elle les tient également systématiquement éloignées des mécanismes décisionnels.”
Créez vos propres écoles!
Quand, concernant l’école qui doit s’ouvrir à Genk, je souligne que l’ouverture d’une école islamique ravive les craintes de la communauté flamande que l’enseignement dans ces écoles conduise à l’islam radical, Orhan Ağırdağ rétorque que les élèves diplômés de ces écoles s’intègrent mieux dans la société dans laquelle ils vivent que les élèves des autres écoles : “ Des recherches menées en Hollande montrent que les élèves sortant des écoles islamiques sont non seulement plus performants en matière d’études, mais qu’ils s’intègrent également mieux. N’existe-t-il pas des exceptions? Bien sûr qu’il en existe. Par exemple, dans l’une de ces écoles, on a constaté un problème dans l’enseignement donné et l’école a perdu son financement. Et je trouve cette mesure pleinement justifiée. Quelle que soit l’option philosophique ou religieuse du groupe concerné, s’il y a un problème dans l’éducation donnée, si l’enseignement prodigué dans l’une de ces écoles sort du cadre fixé par la société en question, il faut intervenir immédiatement. Ceci n’est pas seulement vrai pour les écoles islamiques, mais cela peut également arriver par exemple dans des écoles ultra-nationalistes ou encore dans des écoles d’extrême-droite blanche. Bien sûr, quand cela est avéré, il faut prendre des mesures radicales. Il faut supprimer le financement. Mais, quand, avant même que l’école soit créée, on s’oppose à son ouverture, c’est une situation totalement différente. Pourtant, c’est arrivé dans notre pays. La constitution garantit la liberté de l’enseignement et il est interdit de prendre des mesures préventives. En d’autres termes, selon la constitution, vous ne pouvez pas intervenir avant même que l’école ne s’ouvre et qu’il n’y ait eu le moindre problème. C’est cela qui ne va pas. Quelle que soit l’idéologie qui les motive, je suis opposé au fait que l’école répande des idées radicales et, si cela devait être le cas, je suis partisan que l’on prenne des mesures très sévères. En fait, concernant ce point particulier, en finançant ces écoles, vous les contrôlez plus facilement. Par exemple, dans un pays laïc comme la Turquie, l’éducation religieuse est assumée par l’Etat et c’est justement cette prise en charge par l’état qui fait que l’on sait à l’avance ce que les imams diront dans leurs prêches. Si vous voulez empêcher la radicalisation, l’école peut vous offrir un moyen inestimable.”
Et le professeur Ağırdağ de continuer : “
Les projets éducatifs qui ne s’enracinent pas au sein de la société ne rencontrent qu’un succès limité. Dans les écoles créées selon un certain idéal social et communautaire, les professeurs ne se contentent pas de prester leurs heures de travail, de neuf à cinq. Ils font leur travail avec plus de désir et y sont plus attachés. Comme c’était le cas dans les Ecoles de Village (Köy Enstitüleri). Là, il y avait un but social et ces écoles réussissaient.
Dans les sociétés multiculturelles, le fait que les groupes religieux, philosophiques, ou ceux qui ont un autre type de pensée comme l’écologie ou le féminisme, créent leurs propres écoles promeut grandement la réussite scolaire des élèves. Bien sûr, dans ces écoles, il faut que le cadre dirigeant et les enseignants soient d’origines différentes. La composition de ces écoles ne doit pas se limiter aux personnes d’un groupe social ou d’une conviction religieuse, politique ou philosophique mais doit englober tous ceux qui croient à ce projet éducatif particulier.”
Dans son livre, Ağırdağ écrit : “avec les écoles qui reflètent dans leurs enseignants, dirigeants et élèves la diversité de la société dans laquelle elles se trouvent, l’engrenage existant de l’inégalité en matière de scolarité perdra une dent”. D’un autre côté, la présence dans ces écoles d’enseignants de son propre groupe social ou culturel permet de se référer à des exemples appartenant à l’héritage culturel et linguistique de l’élève, ce qui est primordial dans l’éducation. Un matériel de cours incluant ces références culturelles et linguistiques peut ainsi être préparé. Ainsi, dans les écoles créées avec un projet social, seront minimalisés des éléments influençant négativement les apprentissages comme les stéréotypes, les préjugés, la faible attente en matière de réussite scolaire et la discrimination. Bien sûr, il y a d’autres facteurs à prendre en compte et qui influencent la réussite, comme le fait pour l’étudiant de ne pas se sentir étranger, une approche positive de la langue et de la culture.
Les références culturelles facilitent les apprentissages.
C’est ce qu’explique Ağırdağ, quand il souligne que l’une des pierres angulaires de la réussite scolaire est la présence de références culturelles des groupes divers dans les exemples donnés et le matériel de cours :“Un enseignement efficace se base toujours sur des connaissances préalables, des présupposés cognitifs. Lorsque l’on apprend une connaissance nouvelle, si l’on possède des connaissances préalables susceptibles d’étayer cette nouvelle connaissance, on est avantagé. Ces pré-connaissances sont culturellement marquées. Par exemple, en géographie, quand vous étudiez les différences entre les différentes entités géographiques, vous pouvez expliquer la différence entre bourgade (kasaba) et ville en citant l’exemple de Kayseri et d’Emirdağ. L’élève qui possède ces références culturelles comprendra ainsi plus vite le sujet de la leçon. Je voudrais citer un exemple personnel tiré d’un cours de statistiques : en expliquant la distribution normale, le professeur avait dit :”cela ressemble à une cloche de Pâques”. En flamand, cloche de Pâques se dit paasklok. En entendant le mot klok,qui signifie montre en néerlandais, je pensais qu’il s’agissait d’une horloge telle qu’on en voit sur les murs et je ne comprenais pas le rapport entre cette cloche et la courbe de la distribution normale. En effet, les étudiants catholiques comprenaient parfaitement de quoi il s’agissait car ils savaient ce qu’était une cloche de Pâques. Pour comprendre cela, il m’a fallu pas mal de temps. De la même façon, si dans le matériel de cour ou les exemples donnés ou encore dans les explications, on tient compte de la présence en classe d’élèves d’horizons culturels variés, le niveau de réussite à l’école augmente considérablement. Cette approche qui prend en compte la diversité et l’utilise activement dans ses méthodes éducatives favorise la réussite des élèves. Elle fait en sorte que l’élève se sente mieux en classe.
Si, à l’école, vous ne prenez absolument pas en compte les références culturelles et les connaissances préalables d’un certain groupe d’élèves, ces élèves, par rapport aux autres, réussiront moins bien. Pour faire cela, il ne faut pas nécessairement être issu de cette culture particulière. Cependant, il faut bien la connaître. Lorsque vous considérez Bruxelles, c’est l’un des plus grands problèmes : la plupart des enseignants qui travaillent à Bruxelles ne sont pas bruxellois.
Allochtone signifie “venant d’une autre terre.” Les enseignants qui viennent de l’extérieur de Bruxelles ne connaissent ni ne comprennent le substrat socio-culturel de Bruxelles, ni sa réalité. C’est la raison pour laquelle ils vivent souvent des malentendus. A Bruxelles, il faudrait que les enseignants soient originaires de Bruxelles. J’irai même plus loin, il faudrait embaucher des enseignants d’origine étrangère. C’est ce qui fait que les écoles musulmanes réussissent à ce point. La direction et les enseignants sont divers et multiculturels et, connaissant très bien les références culturelles des élèves, ils préparent du matériel de cours et des exemples appropriés.”
L’approche “monochrome” dans la société multiculturelle : une mauvaise définition de l’identité, la discrimination et la négation des particularités culturelles sources de fierté.
Ağırdağ déclare qu’il existe, dans la société et à l’école, trois grandes façons d’aborder la diversité et parmi celle-ci, l’une qui semble positive et qu’il appelle l’approche “monochrome” des différences consistant à dire que les différences n’avaient pas d’importance et que ce qui était important, c’était l’avenir commun. Nous lui avons demandé de préciser ce concept: “il existe trois grandes façons d’aborder les différences : l’assimilation, le multiculturalisme ou l’interculturalisme et la non prise en compte des différences, ce que j’appelle l’approche “monochrome” des différences, le fait de rester neutre. Si vous dites: “les différences n’existent pas, tout le monde est obligé d’être comme moi”, cela s’appelle de l’assimilation. Par contre, à l’opposé, si vous dites “les différences existent et leur existence même est quelque chose de très précieux qui nous rend plus fort”, vous rentrez dans la catégorie du multi-culturalisme ou de l’inter-culturalisme. Entre les deux existe ce que j’appelle l’approche “monochrome” : vous n’êtes pas contre les différences, elles peuvent exister mais elles n’ont pas vraiment d’importance. Si vous dite, un élève peut être noir ou blanc, je ne vois pas de différence, pour moi, ce n’est pas important, je reste entièrement neutre, vous entrez, dans une société multiculturelle, dans ce que nous avons défini comme l’approche “monochrome”.
Prétendre que le passé n’a pas d’importance et que ce qui compte c’est le futur est une illusion!
Dans la société multiculturelle, l’approche “monochrome” se formulant comme “tout le monde est pareil quels que soient ses racines et son passé, le passé n’a pas d’importance, ce qui compte c’est l’avenir”, bien qu’elle semble de prime abord positive, revient en fait à méconnaître l’identité des personnes appartenant à des groupes ethniquement, linguistiquement et culturellement différents et à nier les problèmes qu’elles rencontrent dans la société comme la discrimination et le racisme. Même si cette approche semble guidée par de bonnes intentions et s’opposer à la discrimination, malheureusement elle peut aller jusqu’au fait de faire obstacle à la mise en lumière de discriminations et même à la négation de celles-ci. C’est en ce sens que cette approche est illusoire! En effet, quelle que soit mon désir d’être impartial et neutre face aux différences, ces différences existent bel et bien! Et ces différences, nous les voyons même à un très jeune âge. Des études réalisées sur les contacts visuels de bébés de 6 à 7 mois montrent que dès cet âge, ils sont capables de faire la différence entre des différences “raciales” comme la couleur de la peau, des sourcils, des yeux, la forme du visage. Des études ont mis en évidence qu’à partir de 4 ou 5 ans, les enfants comprenaient les stéréotypes associés aux différences raciales et opéraient des choix en fonction de ces stéréotypes. Ainsi l’on a pu observer que des enfants noirs préféraient parfois des poupées blanches et non les poupées noires qui leur ressemblaient car ils s’étaient imprégnés du stéréotype que le noir était négatif. Quelqu’un qui me rencontre pour la première fois se rend compte en quelques secondes que je suis un homme, que je viens d’un pays du Moyen-Orient, que ma peau et mes cheveux sont foncés… Je ne suis pas blanc. Même, en même temps je suis fier d’être turc et j’aimerais que mes enfants connaissent aussi la langue turque. En disant, il y a des différences, mais elles ne sont pas importantes, vous ne voyez pas ce qui pour moi est source de fierté. En fait, avec cette approche, vous négligez deux points : 1. Vous ignorez voire niez mes particularités culturelles qui sont source de fierté pour moi. 2 Vous ignorez et niez également la discrimination dont je suis victime en tant qu’allochtone. Ma langue, ma culture, mon histoire, mon humour, mon art…ce sont là tous des éléments importants constitutifs de mon identité et vous ne pouvez pas dire qu’elles n’ont aucune importance. Si vous choisissez l’approche “monochrome”, vous n’accordez pas de valeur positive à mes différences. En fait, vous n’êtes ni neutre ni impartial car vous ne prenez en compte qu’un groupe ethnique et culturel. Quand vous allez à l’école, vous apprenez la littérature et l’histoire, vous utilisez une langue donnée, mais ce n’est jamais celle de la minorité. Dans la société multiculturelle, l’approche “monochrome” revient à méconnaître l’identité des minorités et à ignorer les discriminations comme la fierté suscitées par l’appartenance à l’une d’entre elles.”
L’approche” monochrome” empêche la perception de la discrimination.
L’approche monochrome, c’est à dire le fait de prétendre que la couleur de peau, la langue, les croyances, la provenance géographique n’ont pas d’importance, même si elle semble s’opposer à la discrimination, est une approche qui a une très faible capacité de détecter les discriminations. Dans une étude menée aux Etats-Unis, on a séparé les élèves d’une classe en deux groupes. Au premier groupe, on a donné un texte comprenant des éléments “monochromes”. Dans ce texte, il était écrit que : “vos racines, le lieu d’où vous venez n’a pas d’importance, nous sommes tous des Américains. Ce n’est pas votre passé qui est important, mais bien votre futur. Si vous travaillez assez et si vous faites des efforts, en tant qu’Américain vous réussirez”. Dans le deuxième groupe, on a donné un texte avec une approche multi-culturelle où il était écrit. : “Nous sommes tous différents. Il y a des noirs américains, des hispaniques. Ces différences nous rendent plus forts, cette mosaïque de différence rend l’ensemble plus fort”. Ensuite, on fait visionner aux deux groupes une vidéo dans laquelle un enfant vit une situation de racisme et de discrimination dans la classe et on demande aux deux groupes ce qu’ils ont vu et quelle serait leur réaction dans une situation semblable. Le groupe qui a lu le texte avec l’approche “monochrome” appréhende la situation comme un petit problème, n’y voit pas de discrimination et ne juge pas utile d’en informer le professeur. Le deuxième groupe d’élèves auxquels ont avait donné le texte contenant l’approche multiculturelle réagit très différemment, dit que l’enfant a subit une discrimination et en informe le professeur. L’approche “monochrome” empêche que les problèmes soient détectés. En résumé, en tant que professeur vous pouvez prétendre avec bonne foi que “l’origine de l’enfant n’a pas d’importance pour moi” mais en pratique vous donnez moins la parole à l’enfant d’origine différente et vous ne vous en rendez même pas compte.
Ce ne sont pas seulement les différences, mais également les similarités, qui sont importantes.
Le professeur Ağırdağ souligne que, dans les sociétés multiculturelles, l’expression des différences en ce qui concerne l’éducation, et le fait de se rendre compte que ces différences vont renforcer la société et la classe, sont des facteurs importants influençant grandement la réussite des élèves. Cependant, en plus des différences, il faut aussi se rendre compte de nos similarités et leur donner également une place. “Nous avons autant de similarités que de différences. Peut-être même davantage. Un élève d’origine turque et un élève belge de souche partagent beaucoup de choses. Tout d’abord, ils sont tous les deux élèves dans la classe. Ils sont tous les deux bruxellois ou gantois. Cependant, il faut aussi pouvoir exprimer nos différences, les valoriser et les utiliser positivement pour favoriser la réussite des élèves”.
Les différences sont une richesse et cette richesse doit être utilisée pour rendre l’école plus efficace (empowering)
Un des éléments analysés par le professeur Orhan Ağırdağ dans son livre se situe au niveau de la direction des écoles. Il faut utiliser les différences comme un moyen de rendre l’école plus forte (empowering). Par exemple, dans la salle des professeurs, au lieu de dire “les élèves de notre école viennent de familles désavantagées et c’est pour cela qu’ils ont des difficultés à comprendre les matières”, il faudrait dire “les élèves de notre école peuvent bien venir de familles défavorisées, mais nous, en tant qu’école, comment allons faire en sorte qu’ils réussissent”. Ou encore, plutôt que de dire “nos élèves ont des problèmes de langue, à la maison, on ne parle pas flamand, qu’y pouvons-nous!”, ce serait plus positif de s’exprimer de la sorte: “c’est notre devoir en tant qu’école de remédier à ce problème de langue”. Dans son livre, Orhan Ağırdağ, montre de même, avec des exemples choisis, comment le fait de parler une autre langue à la maison peut être envisagé non comme un désavantage mais comme un plus pour l’école au sein d’une approche multi-linguistique et multi-culturelle positive.
La contribution de communautés diverses à une solution commune.
Il est grand temps que les Turcs qui sont arrivés “quelque part” au niveau socio-culturel et économique recréent un lien avec leur communauté d’origine et utilisent les savoirs qu’ils ont acquis pour contribuer à ce que cette dernière réussisse davantage.
Le professeur Ağırdağ, qui déclare aussi que les communautés d’origine allochtone intériorisent la discrimination dont elles font l’objet, illustre son propos avec des exemples tirés de la communauté turque : “ une famille de classe moyenne, éduquée, voudra envoyer ses enfants dans une école où il n’y a pas trop d’enfants turcs. C’est malheureusement une réalité. Ces écoles qu’on appelle en néerlandais concentratie school, où les enfants allochtones sont concentrés ne sont pas en retard uniquement parce qu’on y concentre les enfants d’origine étrangère mais parce qu’on a, dans ces écoles, une mauvaise approche de la diversité. Dans ces écoles, les enfants se sentent moins discriminés et plus en sécurité que dans les écoles “blanches”. Pourtant, en raison du regard négatif porté sur ces écoles par les politiques, les cadres dirigeants et la société en générale, ces écoles vivent des problèmes. De même, on n’y investit pas et on y envoie les enseignants les moins expérimentés. Tout cela a une influence négativement l’enseignement prodigué dans ces écoles. C’est un autre sujet, mais ici, ce que je voudrais souligner, c’est que nous intériorisons à ce point la discrimination que nous nous conduison nous-mêmes de façon discriminatoire par rapport à notre communauté d’origine. C’est un grand problème. Nous devons comprendre que certaines approches ne sont pas positives mais bien insultantes. Quand on nous dit: “ah, mais vous ne ressemblez pas du tout à un Turc”, nous devons comprendre qu’en fait on nous déconsidère et qu’il n’y a rien dans ces paroles dont nous puissions tirer de la fierté. C’est ne pas quelque chose dont nous pouvons nous enorgueillir. Je connais des Turcs qui sont fiers que leurs enfants ne ressemblent pas aux Turcs! Si vous êtes arrivé quelque part au niveau culturel ou socio-économique, vous devez en faire profiter votre communauté. Il faut que ceux qui réussissent aient une conscience communautaire et se mettent au service de leur communauté d’origine pour la faire progresser. Il faut qu’ils puissent dire sans complexe “nous venons de cette communauté, cette communauté est la nôtre”. Il faut arrêter de critiquer cette communauté en disant : “ce sont des arriérés, ils n’ont pas encore pu s’adapter, n’ont pas appris la langue, soutiennent Erdoğan…”
Il est grand temps que les Turcs qui sont arrivés quelque part au niveau socio-culturel ou économique recréent un lien avec leur communauté d’origine et utilisent les savoirs qu’ils ont acquis pour l’aider à réussir . Nous n’avons plus de temps à perdre.”
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