Ni tort ni raison…
Yazının Türkçe versiyonu:Ne sen haksızsın, ne de ben haklı…
Cela fait 12 ans que j’écoute les histoires de migration, les traumatismes qui leur sont liés, les problèmes de violence intrafamiliale, les conflits identitaires et bien d’autres soucis psychosociaux inhérents à l’homme.
Tout au long de mon parcours professionnel, ces sujets ont fait l’objet de réflexions denses et profondes.
Dans un avenir proche, je prendrai le temps de développer chacune d’entre elles.
Ici, je m’aventurerai vers un thème plus général en vous invitant, telle une séance thérapeutique, à un petit voyage introspectif…
Que diriez-vous de nous attarder un peu plus longuement sur les notions de juste et de faux , de bien et de mal ?
Ces notions jouent un rôle considérable dans le développement de l’identité et de la personnalité. Elles façonnent nos représentations et notre façon d’être au monde.
Une définition plus souple de la dualité « bien/mal », « juste/non-juste », permettrait d’appréhender l’autre avec moins de préjugés tout en nous révélant à nous-même sous un autre jour. Le monde entre nous et les autres pourrait alors nous apparaitre de manière moins clivé et plus ouverte aux différences.
Plus particulièrement, une des manières de lever les barrières qui entravent le développement paisible de notre personnalité et la construction de notre parcours individuel passe, entre autres, par la capacité à faire preuve de flexibilité.
Dans le cadre du programme d’éducation à la vie « affective, sexuelle et relationnelle », je rencontre depuis des années, de nombreux jeunes d’origine turque fréquentant les écoles de Schaerbeek (Bruxelles).
Parmi les sujets épineux abordés, ceux-ci reviennent fréquemment :
« Les filles doivent rester vierges jusqu’au mariage »
« Je ne peux pas m’opposer aux choix de ma famille concernant le choix de mon/ma partenaire parce que ceux qui décident, c’est ma famille et eux savent mieux ce qui est juste et bon pour moi »
« Lorsqu’on est marié, le viol n’existe pas »
Et ainsi, les échanges peu nuancés sur ce qu’est « être un homme » ou « être une femme » ne cessent de s’exacerber et finissent par se transformer en éclat de rire. En effet, vaut mieux rire de la réalité que pleurer !
Ces sujets intimes et délicats éveillent de vives réactions : « Madame Ülkü, nous, nous sommes turcs et chez nous c’est comme ça. » disent-ils. Ainsi, ces jeunes ferment d’un cadenas toute velléité du libre arbitre. Ils choisissent un raccourci ou les désirs individuels se noient et sombre dans du déni.
Moi, un peu par provocation mais aussi par curiosité, je m’interroge sur le sens de ces échanges, je leur réponds : « Tiens, vous êtes turcs, mais vous n’êtes pas nés en Belgique ? »
Puis j’ajoute « moi aussi, je suis d’origine turque, mais je ne pense pas comme vous. »
« Et quand est-il de ton copain assis à côté de toi, il est aussi d’origine turc mais c’est évident qu’il ne pense pas comme toi. »
Au compte goute, apparaissent des prises de consciences, bien que nous soyons tous d’origine turque, nous pressentons qu’il n’existe pas qu’une seule façon de voir les choses.
La plupart du temps, je constate que les représentations du bien ou du mal, dépendent d’un système de croyances que nous imposent une culture, une famille ou une quelconque autorité.
Sans doute, aussi longtemps que nous ne n’aborderons pas ces concepts avec plus de souplesse, nous resterons condamnés à être une communauté turque se sentant incomprise, jugée et fatalement jugeante.
Pour éviter à nos jeunes l’injonction paradoxale « reste turc mais réussit comme un européen », il est inévitable que nous soyons à l’écoute de ce qui semble aussi être juste pour l’autre, tout en favorisant la rencontre et l’intégration de valeurs nouvelles sans que cela provoque une menace de perte de soi.
Rappelons que la construction d’une identité cohérente repose sur le sentiment d’unité et surtout sur la capacité d’évoluer et de se transformer.
(Des études révèlent qu’une éducation basée sur des injonctions paradoxales peuvent mener à des troubles de la personnalité à l’âge adulte.)
A ce propos, l’une des scènes culte du film Eskiya1 (le bandit), le moment ou Eskiya confronte Berfo, m’a profondément marquée.
Après 35 ans de prison, habité par la vengeance, Eskiya va trouver Berfo qui l’avait livré aux gendarmes et lui avait pris la femme qu’il aimait. Berfo déclare alors : « tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par amour. Et toi, Eskiya, est-ce que tu aurais été capable de trahir ton meilleur ami par amour pour Keje» ? Ces paroles résonnent comme une leçon de vie pour Eskiya et le spectateur reste sans voix. Qui, en effet, avait le plus aimé Kéjé ? Qu’est-ce qui était juste, bien ? Abandonner son amour ou trahir son ami ?
Tout à coup, nous percevons différemment le personnage que nous considérions comme mauvais et nos représentations de ce qui est juste et non juste s’assouplissent…
Finalement, il n’existe pas une définition unique du bien et du mal, du juste et du faux !
Parfois, être quelqu’un de « bien », c’est simplement se conformer aux normes imposées, sans que cela corresponde forcément à notre voie et nos désirs individuels.
Il existe bon nombre de « voies », et parmi celles-ci, il y a « la mienne », celle qui contient le bien et le mal, le juste et le faux.
Suivre sa propre voie, c’est là le seul chemin qui nous amènera sans doute à trouver ce qui est juste pour nous et ce qui ne l’est pas.
Force est de constater que le sacrifice personnel est moins couteux que de tourner le dos à un système de pensé collectif. C’est ce qu’on appelle en psychologie la « zone de confort ». Plutôt que de remettre en question les modèles inculqués et prendre éventuellement le risque de les abandonner, nous choisissons de nous «dé»ranger pour ne pas déranger.
Et ensuite ?
Ensuite, c’est nous qui sommes victimes.
Sans que personne n’en sorte victorieux.
Une dernière question, si une mère de famille pense qu’elle n’a pas d’autres choix pour nourrir son enfant que de voler une pomme sur l’étalage d’une épicerie, est-elle une voleuse ?
Cette pomme, est-ce la pomme défendue ?
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